dimanche 28 mars 2010

Erotikon (1920)


Erotikon (Mauritz Stiller)


Le professeur Leo Charpentier, célèbre entomologiste, donne une conférence sur la vie sexuelle des scarabées : "En général deux femelles suffisent – mais une jamais". Pour illustrer ce principe, en plus de sa femme Irène, il s'intéresse à sa jolie nièce Marte qui illustre ses livres sur les insectes. De son côté la frivole Irène, entre deux emplettes dans les magasins de fourrure, fréquente à la fois le sculpteur Preben Wells (le meilleur ami de Leo) et le baron Felix, un aviateur qui l'emmène faire un tour dans son coucou.

Après un dîner avec leur ami le professeur Sidonius, Leo et Irène vont à l'opéra avec Preben. Ils assistent à la première de "Schaname", qui n'est pas sans ressembler à la situation des spectateurs : Schaname est la favorite du Shah de Perse. Elle aime le prince Tariel et lui propose de partir avec elle, mais il refuse car il est le meilleur ami du Shah. Elle l'accuse d'avoir voulu la séduire, et le Shah furieux tue son ami. Preben, troublé et rendu jaloux par l'irruption dans leur loge du baron Felix, s'éclipse à l'entracte.

Mais le sculpteur a un intérêt pas seulement artistique pour son modèle, au grand déplaisir d'Irène. Preben la voit entrer dans un immeuble au bras d'un homme qui lui semble être Felix et provoque, à cause de sa jalousie, une scène avec Leo. Irene avoue avoir trompé son mari et quitte la maison, tandis que Leo est terrorisé à la perspective d'un duel avec le baron. Preben parti chez Felix organiser ce duel, y trouve une autre femme, et se propose maintenant de tout arranger entre les époux, au grand déplaisir de Leo qui avait déjà commencé à réorganiser sa vie avec Marte.

Preben va donc voir Irene chez sa mère. D'abord réticente, puis jalouse à cause du modèle, Irene finit par avouer à Preben que c'est lui qu'elle aime. Elle téléphone à Leo et lui souhaite beaucoup de bonheur avec Marte.

"Erotikon" est le film le plus coûteux du cinéma muet suédois (somptueux décors notamment de la maison des Charpentier), et a influencé beaucoup de comédies des années 30, comme "La Règle du Jeu" de Renoir. C'est un film atypique, risqué pour l'époque avec l'habillement et le comportement provoquant des personnages féminins.

La Princesse aux Huitres (1919)


Die Austerprinzessin (Ernst Lubitsch)

M. Quaker, "le roi américain des huîtres" est un nouveau riche doté d'une fille hystérique et capricieuse, Ossi, qui s'est mise en tête d'épouser un prince. Peu impressionné par ses colères, mais ne pouvant néanmoins rien lui refuser, Quaker contacte un arrangeur de mariages, qui trouve dans ses fichiers un prince Nucki, noceur désargenté. Nucki, peu enthousiaste, envoie son ami Joseph enquêter sur la fiancée.

Au palais du roi des huîtres; Joseph est pris pour le vrai prince, mais on le fait néanmoins attendre pendant que Quaker fait la sieste et que Ossi prend son bain, assistée par une armée de soubrettes. Le faux prince est enfin présenté au père et à la fille, qui l'emmène pour une bénédiction nuptiale expresse.

Le repas de mariage a lieu en présence d'une foule d'invités qui sont victimes d'une épidémie de fox-trot. Joseph qui joue toujours le rôle du prince s'intéresse surtout au festin (pendant que le vrai Nucki déjeune d'un hareng saur). Le soir Ossi s'endort dans les bras de son ours en peluche tandis que Joseph est envoyé dans ses appartements.

Le lendemain, Ossi rejoint ses amies de la "Ligue Antialcoolique des Filles de Milliardaires", qui doit traiter le cas du vrai prince Nucki, rentré ivre d'une virée avec ses amis. Chacune d'elles le trouvant à son goût, Ossi gagne à l'issue d'un tournoi de boxe le droit de s'en occuper personnellement, et le ramène dans sa chambre. C'est le coup de foudre, attristé par la révélation qu'ils sont tous deux mariés. C'est alors que Joseph intervient, hilare, et leur apprend qu'ils sont mariés ensemble ! Les vraies noces ont alors lieu, et Quaker est enfin impressionné en voyant sa fille dans les bras de son mari.

"Comédie grotesque en 4 actes", "La Princesse aux Huitres" est un des sommets de l'œuvre muette de Lubitsch. C'est une comédie à la fois loufoque et subtile qui se moque aussi bien des Américains milliardaires que de la noblesse allemande désargentée, avec des quiproquos audacieux et vaudevillesques flirtant par moment avec le grivois. Et chez Lubitsch, les femmes sont drôles et savent toujours ce qu’elles désirent contrairement aux hommes.

Mais c'est aussi un film très innovant, avec quelques expérimentations formelles et rythmiques assez surprenantes pour l'époque (la danse de Joseph dans les motifs géométriques du salon d'attente, et l'inénarrable séquence du fox-trot), et où Lubitsch montre une habileté prodigieuse en dirigeant une foule de figurants dans des scènes où chaque geste semble chorégraphié.

L'Auberge Rouge (1923)


L'Auberge Rouge de Jean Epstein


En 1825, un banquier parisien donne un dîner pour son fils André et sa fiancée Victorine. Celle-ci est accompagnée par son oncle Jean-Frédéric Taillefer, ancien fournisseur des armées impériales. Parmi les invités se trouve le riche marchand Herman, qui raconte une histoire arrivée en 1799.

Une nuit pluvieuse d'octobre, en Alsace, deux jeunes médecins ont été contraints de s'arrêter dans une auberge. L'un d'eux, Prosper Magnan, s'intéresse à la servante, qui ne lui est pas indifférente. L'aubergiste s'occupe bientôt d'un nouvel arrivant, un aristocrate hollandais, qui s'avère être un courtier en diamants. Une cartomancienne tire les cartes à Prosper et révèle : "or - crime - mort". Le courtier doit dormir dans la même chambre que les médecins. Prosper est tenté de le tuer pour le voler, mais il renonce, après être sorti sous la pluie en proie à une grande agitation. Le lendemain matin, le Hollandais est trouvé mort égorgé et les diamants ne sont plus là. L'autre médecin a disparu, et Magnan est retrouvé ensanglanté, et est arrêté. Taillefer se montre nerveux, surtout quand Herman révèle que l'autre médecin se nommait aussi Frédéric.

Le récit reprend. Magnan est jugé, il se défend mal, et tout l'accable, le seul témoignage en sa faveur étant celui de la fille de l'aubergiste. Il est condamné, et immédiatement fusillé dans un champ. La jeune fille arrive trop tard pour le voir une dernière fois. Désespérée, elle raconte l'histoire à un voyageur et lui demande de porter la dernière lettre de Magnan à sa mère. Ce voyageur était Herman.

Taillefer est de plus en plus agité. André, déjà soupçonneux, l'invite à une partie de cartes après dîner, au cours de laquelle il retrouve les trois cartes fatales de la cartomancienne. André exprime clairement ses soupçons: il était le deuxième médecin de l'auberge, qui a commis le crime et laissé son ami mourir à sa place. Taillefer se lève, et s'effondre frappé d'une attaque. Victorine ébranlée pose sa tête sur l'épaule d'André.
Premier film de fiction de Jean Epstein, "L'Auberge Rouge" est adaptée d'une nouvelle de Balzac. Sa structure est inhabituelle pour l'époque, avec deux histoires entremêlées qui interagissent l'une sur l'autre. Epstein applique "ses théories sur l'image subjective, sur la valeur de l'atmosphère, sur la signification de la composition des plans, sur celle du flou et des surimpressions, sur la cadence, sur le montage, sur les interpolations, les retours en arrière, sur les ralentis" (H. Langlois) pour faire monter lentement la tension et la menace.

dimanche 21 février 2010

Barbara, fille du désert (1926)

The Winning of Barbara Booth (Henry King)

Jefferson Worth rêve d'irriguer le désert pour transformer ces terres déshéritées en paradis. Une femme qui vient d'enterrer son mari affronte une terrible tempête de sable. Jefferson la retrouve morte, sa petite fille Barbara près d'elle, et décide d'élever l'enfant comme sa fille.

15 ans plus tard, Jefferson Worth est devenu propriétaire d'un ranch et veut toujours irriguer ses terrains. Barbara est aimée par Abe Lee, le contremaître de son père. Pour construire un barrage sur le Colorado, Worth obtient le financement d'un entrepreneur de New York, Greenfield. Celui-ci arrive avec son fils adoptif William Holmes, un ingénieur. Holmes tombe aussi amoureux de Barbara après lui avoir porté secours lors d'un accident de cheval. Le barrage est construit, et une ville nouvelle, Kingston, se développe bientôt.

Mais Greenfield cherche le profit immédiat et a triché sur la qualité des matériaux pour le barrage, qui risque de céder et d'engloutir Kingston. Il renvoie les ouvriers qui voulaient alerter du danger. Mais Worth découvre la vérité. Il crée une nouvelle ville sur les hauteurs, Barba, et essaye de finir le barrage lui-même, mais il est à court d'argent pour payer ses hommes. La population, excitée par les hommes de Greenfield, se dresse contre Worth et menace de le lyncher. Les deux ingénieurs rivaux décident de faire taire leur rivalité et d'unir leurs forces pour sauver le projet.

Holmes obtient l'appui d'un autre financier qui avance l'argent de la paie. Abe est chargé de la ramener à Barba, mais Holmes l'accompagne. La bande de Little Rosebud, soudoyée par Greenfield, attaque les deux hommes et blesse Abe. Mais Holmes parvient à ramener l'argent et à sauver la vie de Abe, dont il croit que Barbara est amoureuse. Le barrage cède et la crue du Colorado engloutit la ville de Kingston. Mais les ouvriers, à nouveau soudés autour de Worth et Holmes, repartent à l'ouvrage pour réparer les dégats.

Barbara, qui considérait Abe comme son frère, épouse Holmes. Dans les années qui suivent le rêve de Worth se réalise et le désert se couvre de plantations.

"The Winning of Barbara Worth" est un des grands westerns épiques des années 20, avec de spectaculaires effets spéciaux pour la scène de l'inondation, avec les images des habitants fuyant les flots. Gary Cooper trouve un de ses tous premiers rôles importants, même si l'héroïne, étrangement, lui préfère Ronald Colman (en tout expliquant qu'elle considère le personnage de Cooper comme son frère !).

Les Bateliers de la Volga (1926)


The Volga Boatman, réalisé par Cecil B. DeMille.
En Russie, sur les bords de la Volga, des haleurs tirent les bateaux : c'est un travail épuisant, qui marque les corps. Peu avant la Révolution, la princesse Vera est promise en mariage au prince Dimitri, mais elle se sent attirée par le chant de ces bateliers, et plus particulièrement par le beau Feodor. Lors de la Révolution, Feodor est le leader des paysans qui attaquent le château du père de Vera, le prince Nikita. Les insurgés humilient le prince, mais un serviteur tire un coup de feu et tue Vasili, le lieutenant de Feodor.

En représailles, Feodor ordonne l'exécution soit de Vera, soit de son père. Vera s'offre courageusement au sacrifice, mais Feodor qui est tombé amoureux d'elle et admire son courage ne peut pas se résoudre à la tuer. Il simule son exécution, mais la ruse est découverte par la jalouse Mariusha. Feodor doit s'enfuir en troïka avec Vera. Ils se réfugient dans une auberge en territoire bolchévik, et se font passer pour de jeunes mariés.

Quand l'Armée Blanche contre-attaque, Vera et Feodor sont faits prisonniers. Vera prise pour la femme d'un chef Rouge est déshabillée et sur le point d'être violée par les soldats mais elle est sauvée par Dimitri. Feodor est condamné à être fusillé pendant les fêtes au palais de Iaroslav, mais Vera se précipite sur lui devant le peloton d'exécution. Alors que Dimitri hésite à commander le feu, les bateliers de la Volga donnent le signal de l'attaque des Rouges, qui s'emparent rapidement du palais.

Les aristocrates, hommes et femmes, sont condamnés à tirer le bateau des vainqueurs, et Feodor se place volontairement aux côtés de Vera. Plus tard, devant le tribunal, en remerciement des services qu'il a rendus à la cause, il obtient la grâce de Vera et Dimitri. Dimitri choisit l'exil, tandis que Vera choisit la nouvelle Russie auprès de Feodor.

Inspiré par un roman de Konrad Bercovici, "les Bateliers de la Volga" permet à DeMille de donner libre cours à son goût pour l'épopée. William Boyd est charismatique dans le rôle qui a lancé sa carrière et présente déjà l'idéalisme qui caractérisera Hopalong Cassidy. Et l'alchimie fonctionne très bien avec Elinor Fair, sa future épouse.

DeMille prend un malin plaisir à humilier ses héroïnes : Vera (Elinor Fair) est mise à nu par les soldats de son propre camp (bien entendu on ne voit rien, mais le regard des hommes est sans équivoque), et plus tard la bolchévik Mariusha (Julia Faye) subit le même sort après avoir été prise pour une aristocrate.

dimanche 14 février 2010

Metropolis (1927)

Un événement considérable a eu lieu vendredi soir à Berlin, retransmis en direct sur Arte : la première projection publique depuis 82 ans de la version presque complète de Metropolis ! Le chef d'œuvre de Fritz Lang était connu jusque là par la version exploitée aux Etats-Unis par Paramount, qui avait subi des coupures sévères pour être "adaptée" aux goûts américains.

Sous cette forme mutilée il était déjà reconnu comme un des grands chefs d'œuvre du cinéma, et unanimement considéré comme un des 3 ou 4 meilleurs films de la période muette. On y voyait en particulier un des grands inspirateurs du cinéma de science-fiction, de "La Fiancée de Frankenstein" à "La Guerre des Etoiles". Les villes du futur au cinéma ressemblent très souvent à Metropolis avec ses rues-canyons entre les gratte-ciel, parcourues par des véhicules terrestres ou aériens. Mais les personnages manquaient de consistance, l'enchaînement des événements n'était pas toujours très clair.

Les 25 minutes inédites découvertes dans la version conservée à Buenos-Aires et diffusée vendredi soir changent complètement la vision qu'on peut avoir du film. Le cheminement de Freder, sa découverte progressive du monde "d'en bas", sa prise de conscience, et en même temps l'évolution de son amour pour Maria, apparaissent dans toute leur cohérence.

Des personnages sacrifiés voire complètement inexistants dans la version connue à ce jour apparaissent et jouent un rôle important : Josaphat, le secrétaire de Joh Fredersen, licencié par lui, et qui aide Freder à pénétrer dans la cité ouvrière; Georgy, alias n° 11811, l'ouvrier qui échange ses vêtements avec Freder, et qu'on voit prendre le taxi et aller au quartier des plaisirs de Yoshiwara; et surtout "l'homme mince", inquiétant personnage d'espion-homme de main que Joh charge de surveiller son fils.

Bien sûr, la rivalité amoureuse de Joh et Rottwang est ici complètement explicite (dans la version de 2001, elle était juste expliqué par des cartons et des photos). Ils aimaient tous deux Hel, qui est partie avec Joh et est morte en donnant naissance à Freder. Rottwang vit obsédé par son souvenir, et c'est pour la retrouver qu'il crée à l'origine un robot féminin, avant que cette création soit détournée par Joh.

La séquence de l'inondation et du sauvetage des enfants est beaucoup plus complète et beaucoup plus spectaculaire. Et la scène de la poursuite de Maria par la foule est cette fois compréhensible : la foule s'attaque d'abord à la vraie Maria, qu'ils croient responsable du drame, et c'est en croisant la fausse Maria, elle-même dans un cortège constitué de ses admirateurs, qu'ils changent de cible sans s'en rendre compte, et qu'ils brûlent finalement le robot.

La seule scène qui reste manquante (car trop abîmée dans la copie de Buenos Aires) c'est l'affrontement entre Joh et Rottwang, où Joh comprend que Rottwang l'a joué et utilise son robot contre lui.

Mais cette soirée aura permis la redécouverte et la réévaluation d'un film que tout le monde croyait connaître. Fritz Lang disait qu'il ne pouvait pas parler de Metropolis parce que ce film n'existait plus. Depuis le 12 février 2010, il existe à nouveau !

jeudi 11 février 2010

Les Aventures de Robert Macaire (1925)

Dans les années 20 le cinéma français raffolait des mélodrames à épisodes, réalisés notamment par Henri Fescourt et Luitz-Morat (Mandrin, le Juif errant, Surcouf, Monte-Cristo, etc.). Jean Epstein, cinéaste « d'avant-garde », et donc a priori à l'opposé de ce genre de production populaire, s'y est cependant essayé avec succès dans "les Aventures de Robert Macaire", inspiré du personnage de bandit romantique qui a eu un énorme succès au XIXème siècle.

C'est une longue épopée en 5 épisodes, pleine d'humour et avec une interprétation brillante (Jean Angelo en Robert Macaire et Alex Allin en Bertrand), et qui permet également d'admirer de beaux paysages du Dauphiné.

En 1825, Robert Macaire et son acolyte Bertrand, déguenillés et affamés, sont fort mal accueillis par une fermière qui avait pourtant juré à Saint-Antoine d'aider les pauvres. Revenant un peu plus tard avec de beaux habits dérobés dans un château, ils sont cette fois très bien accueillis, et Robert sauve une jeune fille tombée de cheval : c'est Louise, la fille du marquis de Servèze.

La nuit, l'orage gronde, Robert, déguisé en Saint-Antoine, s'empare des économies de la ferme. Louise invite son sauveur chez son père, et se laisse courtiser par lui. Mais lors d'un bal donné en son honneur, les gendarmes viennent prévenir le marquis que son invité est le fameux bandit Robert Macaire. Louise amoureuse de Robert parvient à favoriser sa fuite, et le retrouve le soir pour des rendez-vous secrets. Mais Robert et Bertrand finissent par être arrêtés et emmenés en prison.

On les retrouve 17 ans plus tard, libres mais en haillons. Après une première peine de prison, ils ont été condamnés à nouveau pour une escroquerie sur M. de la Ferté, dénoncés par leur complice Cassignol. Louise est morte, et Robert va se recueillir sur sa tombe. Il a la surprise d'y voir une jeune fille qui ressemble étrangement à Louise : c'est Jeanne, née des amours de Louise avec le bandit. Elle aime un jeune homme pauvre qui n'est autre que Henri, le fils de M. de la Ferté.

Robert décide de se racheter en aidant les jeunes gens. Ils retrouvent Cassignol, et réussissent à lui faire rendre l'argent volé à la Ferté. Robert offre cet argent en dot à Jeanne, ce qui lui permet d'épouser Henri. Jeanne comprend que Robert est son père, mais il disparaît sur la route avec Bertrand : tous deux ont juré d'être désormais honnêtes.

samedi 6 février 2010

L'Amour de Jeanne Ney (1927)


(Die Liebe der Jeanne Ney - G-W. Pabst)

Jeanne Ney est la fille d'un diplomate français en Crimée, où l'Armée Blanche continue à résister à l'avancée des Rouges. Elle a un petit ami russe, Andreas, qui est sans qu'elle le sache un agent bolchévik. Le père de Jeanne reçoit d'un certain Khalibiev une liste d'activistes, Andreas essaie de la lui reprendre, et dans l'affrontement le tue d'un coup de revolver. Jeanne ne semble pas lui en vouloir outre mesure, mais elle rentre à Paris auprès de son oncle Raymond, directeur d'une agence de détectives privés. D'abord réticent, Raymond engage Jeanne comme secrétaire sur l'insistance de sa fille Gabrielle, aveugle et solitaire.

Andreas est envoyé en mission en France pour propager la révolution communiste, et les amants se retrouvent. Khalibiev, traître et libertin sans scrupule, se trouve lui aussi à Paris "pour affaires". Attiré par Jeanne depuis l'époque de la Crimée, il s'introduit chez son oncle et séduit Gabrielle. Il n'en veut qu'à son argent et a prévu de se débarrasser d'elle rapidement. Mais une fille de bar à qui il s'est vanté de ses projets le dénonce et fait échouer ses projets de mariage. Pendant ce temps, l'agence de Raymond Ney a réussi à retrouver un diamant disparu (dans l'estomac d'un perroquet !), et doit toucher 50000 $ de récompense.

Mais l'oncle Raymond est un triste sire, avare et libidineux, qui cherche lui aussi à abuser de Jeanne et, devant sa résistance, la renvoie. Dans la nuit, Khalibiev vient étrangler Raymond et voler le diamant, en laissant près du corps une lettre et une photo pour faire accuser Andreas. Gabrielle a été témoin de la scène mais est incapable d'identifier l'agresseur. Pendant ce temps, Jeanne passe la nuit avec Andreas qui doit partir le lendemain pour Toulon, porteur d'une forte somme d'argent pour les ouvriers de l'arsenal. Ils croisent Khalibiev qui est dans le même hôtel. Le matin, ils prient ensemble dans une église, avant qu'Andreas parte prendre le train.

Andreas est arrêté dans le train et accusé du meurtre, à cause des documents laissés par Khalibiev et de l'argent qu'il avait sur lui. Jeanne veut demander à Khalibiev de témoigner qu'il les a vus à l'heure du crime, mais il s'enfuit. Jeanne le rattrape dans le train. Elle le supplie de l'aider, il fait semblant d'accepter, espérant assouvir ses désirs. Mais c'est alors que Jeanne comprend la vérité. Elle tire le signal d'alarme, appelle au secours. Il tente de la bâillonner avec son mouchoir, duquel tombe le diamant…

"L'Amour de Jeanne Ney" se situe dans l'œuvre de Pabst entre "La Rue sans Joie" et "Loulou". Tiré d'une histoire d'Ilya Ehrenburg, il commence comme un document social impressionniste, et se continue comme un policier qui fait penser à certains films d'Hitchcock (les jeunes gens innocents soupçonnés à tort).




Pabst utilise une grande diversité de styles cinématographiques : principalement le style des films d'aventures hollywoodiens, mais aussi par moments les techniques de montage rapide des Soviétiques, ou les mouvements de caméras et les perspectives expressionnistes.

La Française Edith Jehanne est une charmante Jeanne Ney. Brigitte Helm a un rôle émouvant, très loin des vamps pour lesquels on se souvient d'elle aujourd'hui. Et Fritz Rasp dans le rôle du méchant a le physique de l'emploi (c'est lui qui abuse de Louise Brooks dans Journal d'une fille perdue)

dimanche 31 janvier 2010

Cauchemars et Superstitions (1919)

Je viens de découvrir ce film étonnant et méconnu (When the Clouds roll by, en version originale), un chef d'œuvre de comédie dynamique et jubilatoire, avec Douglas Fairbanks première manière, avant qu'il s'oriente vers les films d'aventures en costumes. Le film est réalisé par le jeune Victor Fleming, le futur réalisateur du magicien d'Oz et d'Autant en emporte le Vent.

Douglas joue ici le rôle d'un jeune Américain moyen, Daniel Brown, qui se pourrit la vie par des superstitions en tout genre, qui donnent lieu à quelques gags savoureux. La où les choses se gâtent, c'est que son voisin, l'inquiétant psychiatre Dr Metz, a décidé de se servir de lui comme cobaye involontaire pour ses expériences. Il provoque chez lui des cauchemars (avec la complicité de son valet qui lui fait absorber de la nourriture lourde à minuit). Dans une scène étonnante, on voit les aliments s'agiter dans son estomac, et ensuite on est projeté dans son cauchemar, au cours duquel il court sur les murs, il est poursuivi par de nombreux personnages… et a très peur de perdre son pantalon devant une assemblée féminine !

Son oncle et employeur, homme d'affaires, se lasse de ses retards répétés et le met à pied pour une semaine. C'est alors que, se promenant au parc, Daniel rencontre une jeune fille aussi superstitieuse que lui, Lucette Bancroft. Ils déjeunent ensemble et une idylle s'ébauche. Mais Lucette est promise à un certain Mark Drake, maire d'une ville pétrolière de l'Oklahoma, qui n'en veut en fait qu'au terrain du père de Lucette. Drake fait affaire avec l'oncle Brown, qui décide d'envoyer Daniel traiter en sous-main avec Bancroft.

Lucette se libère de sa promesse à Drake, et le mariage avec Daniel est immédiatement organisé. Mais le Dr Metz, grâce à ses espions, s'est tenu au courant de tous ces événements, et il s'arrange pour faire inviter Drake. Celui-ci réussit en quelques instants à faire rompre Lucette avec Daniel (en révélant l'affaire du terrain et en faisant croire que Daniel en est l'instigateur), à brouiller l'oncle et le neveu et à faire fuir tous les invités. Metz, voulant pousser son expérience sinistre jusqu'au bout, glisse un revolver dans la poche de Daniel resté seul.


Daniel devant le ferry qui emporte Lucette et Drake est en effet tout près de se suicider. On voit alors dans son cerveau la Raison anéantie par la Jalousie et le Désespoir, alors que le Sens de l'Humour est anéanti. Mais juste à ce moment Daniel voit deux gardiens de l'asile de fous arrêter Metz qui était un de leurs pensionnaires. A cette vue, le Sens de l'Humour renaît, ce qui permet à la Raison de triompher de ses ennemis. Daniel retrouve toute sa vitalité et son dynamisme "fairbanksiens", franchit le fleuve, attrape au vol le train vers l'ouest, retrouve Drake et récupère la preuve que c'était lui qui voulait escroquer le père de Lucette.

Sur ce, le train est pris dans une inondation suite à la rupture d'un barrage, ce qui donne lieu à quelques effets spéciaux spectaculaires de village inondé et de maisons emportées par les crues. Daniel retrouve Lucette sur le toit d'une maison qui dérive. Il intercepte une église également dérivante, et le pasteur marie les deux jeunes qui semblent enfin guéris de leurs superstitions.

lundi 25 janvier 2010

Les Trois Ages (1923)

Fin 1923, Buster Keaton réalise ce qui est à la fois son premier long métrage et son premier film vraiment personnel, "Les Trois Ages". Et il n'hésite pas à se lancer dans une parodie burlesque d'"Intolérance", en racontant la même histoire trois fois, à trois époques différentes. Le thème est bien sûr plus léger : un jeune homme doux et rêveur veut conquérir une jeune fille (Margaret Leahy) et doit lutter contre un rival plus costaud, interprété par Wallace Beery et qui ne s'embarrasse pas de scrupules pour arriver à ses fins.

La trame est toujours la même : présentation des personnages (le triangle amoureux, et les parents de la jeune fille, qui ont tendance à préférer Beery), tentative maladroite de susciter la jalousie, compétition sportive, ingéniosité de Keaton et manœuvres déloyales de Beery, mariage avec Beery déjoué au dernier moment et happy end. Mais les épisodes successifs ne sont pas une simple redite, ils apportent à chaque fois des éléments nouveaux qui font avancer le récit.

L'époque la plus pittoresque, celle à laquelle on pense spontanément en évoquant ce film, c'est l'époque préhistorique, avec son monde de pierres, ses personnages vêtus de peaux de bêtes et voisinant avec des mammouths et des dinosaures sortis de chez Winsor McCay. A cette époque, les rivalités se règlent à coups de massue, et les femmes sont heureuses d'être traînées par les cheveux par leur homme.
L'époque romaine est plus raffinée, on y vit mollement étendu sur des banquettes ou des palanquins, mais on se bat à coup de glaive et on s'affronte dans les jeux du cirque. Les rivaux disputent une course de char, mais Rome étant sous la neige (!), Buster remplace son char par un traîneau à chiens plus adapté. Plus tard, confronté à un lion, il le calme en jouant les manucures.

A l'époque moderne, on exhibe son compte bancaire, on se bat sur un terrain de football, et le méchant élimine son rival en lui fourrant de l'alcool de contrebande dans la poche. Poursuivi par les policiers, Buster réalise une des cascades les plus spectaculaires de sa carrière : sautant d'un toit à l'autre, il rate son coup, se rattrape au bord de l'immeuble et dégringole d'étage en étage jusqu'en bas où il atterrit dans une voiture de pompier (apparemment il avait vraiment raté son coup, mais la prise a été gardée car encore meilleure que ce qui était prévu !). L'histoire se termine par l'enlèvement de la mariée à l'église, comme le fera l'année suivante Harold Lloyd dans "Girl Shy", et beaucoup plus tard Dustin Hoffman dans "le Lauréat".

Pour ce qui est de l'interprétation, Keaton est ici doté d'un "méchant" très réussi en la personne de Wallace Beery… et d'une jeune première charmante mais nulle. Margaret Leahy avait gagné dans un concours de beauté le droit de jouer dans un film avec Norma Talmadge. Les premiers essais s'étant révélés catastrophiques, Joe Schenck, le mari de Norma, également patron (et beau-frère) de Buster, la lui a imposée, pensant, sans doute à juste titre, qu'elle ferait moins de dégâts dans un film comique.

Gosses de Tokyo (1932)

"Gosses de Tokyo" est un des premiers films du grand Yasujiro Ozu, et il nous présente une tranche de vie familiale attachante, dans le Japon des années 30.
Un camion s'embourbe dans un terrain vague de la banlieue de Tokyo. Il est chargé des meubles d'une famille en train de déménager, et on remarque la niche du chien.
La famille parvient à s'installer après cette arrivée difficile : le père, petit employé dont on apprend qu'il a choisi ce quartier pour devenir le voisin de son patron, la mère qui ne travaille pas, et deux garçons d'une dizaine d'années.
Tous deux ont d'abord des relations difficiles avec les gamins du quartier, dominés par un caïd qui les dépasse d'une tête. Ils sont tellement effrayés par leur nouvel environnement que le premier jour d'école, il font l'école buissonnière, pique-niquent dans un champ et l'aîné fait même un exercice de calligraphie avec fausse appréciation du maître.
Mais ils trouvent la solution en s'alliant avec le garçon de courses, adolescent qui accepte de corriger le caïd. Nos deux héros s'imposent alors comme les leaders du groupe, et participent activement à la collecte des œufs de moineaux, supposés donner la force et l'autorité. Un des membres de la bande est le fils du patron de leur père, garçon médiocre qu'ils dominent aisément.

Un jour, ils accompagnent leur père qui rend visite à son patron, et celui-ci fait projeter des films tournés par un de ses employés. Dans le premier, on voit le patron faire des amabilités à deux geishas… devant le regard courroucé de son épouse, il fait vite passer à un autre film. Dans celui-ci, les deux garçons voient leur père s'abaisser et faire des pitreries, et comprennent qu'il est prêt à toutes les bassesses pour obtenir de l'avancement.


Ils s'enfuient révoltés par ce qu'ils ont vu, et surtout prennent conscience que la hiérarchie repose sur la position sociale et la richesse et non sur les capacités. Ils refusent l'idée qu'un jour ils seront peut-être les employés du fils du patron, cette chiffe molle qui se couche par terre sur un signe de leur part. Ils décident de ne plus manger et de ne plus aller à l'école.



Mais cette révolte ne dure pas. Le lendemain matin, les enfants acceptent de partager avec leur père les boulettes de riz préparés par leur mère.


Ils décident d'accepter que leur père n'est pas un grand homme comme ils l'avaient cru, et au passage perdent une partie de leur innocence. Mais ils vont se battre pour avoir une vie moins médiocre que leur parents.


"Gosses de Tokyo" annonce les thèmes que Ozu développera ultérieurement : la subtilité des relations familiales, l'approche progressive de la vie. C'est un film charmant sur l'enfance, avec une étude pleine de justesse de l'évolution des relations à l'intérieur d'une bande de jeunes garçons, mais aussi une satire sociale et une réflexion sur la maturité et la perte des illusions.

C'est aussi un témoignage passionnant sur le Japon des années 30, marqué par l'industrialisation et la militarisation. La discipline à l'école est toute militaire (même si l'instituteur se montre somme toute plutôt débonnaire et compréhensif) et le rêve des deux garçons est de faire carrière dans l'armée !

Mais la misère et la faim sont encore bien présentes, et la symbolique de la nourriture est omniprésente dans le film, avec la recherche des œufs de moineaux (qui se révèlent plutôt indigestes, y compris pour le chien !), le casse-croute emmené par les garçons, et surtout elle est au centre de l'explication finale entre le père et les fils. On doit s'abaisser devant ses patrons "pour pouvoir manger", ce à quoi les enfants répliquent par une grève de la faim, avant de se réconcilier avec leur père autour des boulettes de riz du petit déjeuner.

A la fin du film, les enfants ont accepté le fonctionnement des relations sociales : ce sont eux qui rappellent à leur père qu'il doit saluer son patron qui passe. Le patron répond avec bienveillance et lui propose de profiter de sa voiture, tandis que les garçons partent pour l'école.