dimanche 28 mars 2010

Erotikon (1920)


Erotikon (Mauritz Stiller)


Le professeur Leo Charpentier, célèbre entomologiste, donne une conférence sur la vie sexuelle des scarabées : "En général deux femelles suffisent – mais une jamais". Pour illustrer ce principe, en plus de sa femme Irène, il s'intéresse à sa jolie nièce Marte qui illustre ses livres sur les insectes. De son côté la frivole Irène, entre deux emplettes dans les magasins de fourrure, fréquente à la fois le sculpteur Preben Wells (le meilleur ami de Leo) et le baron Felix, un aviateur qui l'emmène faire un tour dans son coucou.

Après un dîner avec leur ami le professeur Sidonius, Leo et Irène vont à l'opéra avec Preben. Ils assistent à la première de "Schaname", qui n'est pas sans ressembler à la situation des spectateurs : Schaname est la favorite du Shah de Perse. Elle aime le prince Tariel et lui propose de partir avec elle, mais il refuse car il est le meilleur ami du Shah. Elle l'accuse d'avoir voulu la séduire, et le Shah furieux tue son ami. Preben, troublé et rendu jaloux par l'irruption dans leur loge du baron Felix, s'éclipse à l'entracte.

Mais le sculpteur a un intérêt pas seulement artistique pour son modèle, au grand déplaisir d'Irène. Preben la voit entrer dans un immeuble au bras d'un homme qui lui semble être Felix et provoque, à cause de sa jalousie, une scène avec Leo. Irene avoue avoir trompé son mari et quitte la maison, tandis que Leo est terrorisé à la perspective d'un duel avec le baron. Preben parti chez Felix organiser ce duel, y trouve une autre femme, et se propose maintenant de tout arranger entre les époux, au grand déplaisir de Leo qui avait déjà commencé à réorganiser sa vie avec Marte.

Preben va donc voir Irene chez sa mère. D'abord réticente, puis jalouse à cause du modèle, Irene finit par avouer à Preben que c'est lui qu'elle aime. Elle téléphone à Leo et lui souhaite beaucoup de bonheur avec Marte.

"Erotikon" est le film le plus coûteux du cinéma muet suédois (somptueux décors notamment de la maison des Charpentier), et a influencé beaucoup de comédies des années 30, comme "La Règle du Jeu" de Renoir. C'est un film atypique, risqué pour l'époque avec l'habillement et le comportement provoquant des personnages féminins.

La Princesse aux Huitres (1919)


Die Austerprinzessin (Ernst Lubitsch)

M. Quaker, "le roi américain des huîtres" est un nouveau riche doté d'une fille hystérique et capricieuse, Ossi, qui s'est mise en tête d'épouser un prince. Peu impressionné par ses colères, mais ne pouvant néanmoins rien lui refuser, Quaker contacte un arrangeur de mariages, qui trouve dans ses fichiers un prince Nucki, noceur désargenté. Nucki, peu enthousiaste, envoie son ami Joseph enquêter sur la fiancée.

Au palais du roi des huîtres; Joseph est pris pour le vrai prince, mais on le fait néanmoins attendre pendant que Quaker fait la sieste et que Ossi prend son bain, assistée par une armée de soubrettes. Le faux prince est enfin présenté au père et à la fille, qui l'emmène pour une bénédiction nuptiale expresse.

Le repas de mariage a lieu en présence d'une foule d'invités qui sont victimes d'une épidémie de fox-trot. Joseph qui joue toujours le rôle du prince s'intéresse surtout au festin (pendant que le vrai Nucki déjeune d'un hareng saur). Le soir Ossi s'endort dans les bras de son ours en peluche tandis que Joseph est envoyé dans ses appartements.

Le lendemain, Ossi rejoint ses amies de la "Ligue Antialcoolique des Filles de Milliardaires", qui doit traiter le cas du vrai prince Nucki, rentré ivre d'une virée avec ses amis. Chacune d'elles le trouvant à son goût, Ossi gagne à l'issue d'un tournoi de boxe le droit de s'en occuper personnellement, et le ramène dans sa chambre. C'est le coup de foudre, attristé par la révélation qu'ils sont tous deux mariés. C'est alors que Joseph intervient, hilare, et leur apprend qu'ils sont mariés ensemble ! Les vraies noces ont alors lieu, et Quaker est enfin impressionné en voyant sa fille dans les bras de son mari.

"Comédie grotesque en 4 actes", "La Princesse aux Huitres" est un des sommets de l'œuvre muette de Lubitsch. C'est une comédie à la fois loufoque et subtile qui se moque aussi bien des Américains milliardaires que de la noblesse allemande désargentée, avec des quiproquos audacieux et vaudevillesques flirtant par moment avec le grivois. Et chez Lubitsch, les femmes sont drôles et savent toujours ce qu’elles désirent contrairement aux hommes.

Mais c'est aussi un film très innovant, avec quelques expérimentations formelles et rythmiques assez surprenantes pour l'époque (la danse de Joseph dans les motifs géométriques du salon d'attente, et l'inénarrable séquence du fox-trot), et où Lubitsch montre une habileté prodigieuse en dirigeant une foule de figurants dans des scènes où chaque geste semble chorégraphié.

L'Auberge Rouge (1923)


L'Auberge Rouge de Jean Epstein


En 1825, un banquier parisien donne un dîner pour son fils André et sa fiancée Victorine. Celle-ci est accompagnée par son oncle Jean-Frédéric Taillefer, ancien fournisseur des armées impériales. Parmi les invités se trouve le riche marchand Herman, qui raconte une histoire arrivée en 1799.

Une nuit pluvieuse d'octobre, en Alsace, deux jeunes médecins ont été contraints de s'arrêter dans une auberge. L'un d'eux, Prosper Magnan, s'intéresse à la servante, qui ne lui est pas indifférente. L'aubergiste s'occupe bientôt d'un nouvel arrivant, un aristocrate hollandais, qui s'avère être un courtier en diamants. Une cartomancienne tire les cartes à Prosper et révèle : "or - crime - mort". Le courtier doit dormir dans la même chambre que les médecins. Prosper est tenté de le tuer pour le voler, mais il renonce, après être sorti sous la pluie en proie à une grande agitation. Le lendemain matin, le Hollandais est trouvé mort égorgé et les diamants ne sont plus là. L'autre médecin a disparu, et Magnan est retrouvé ensanglanté, et est arrêté. Taillefer se montre nerveux, surtout quand Herman révèle que l'autre médecin se nommait aussi Frédéric.

Le récit reprend. Magnan est jugé, il se défend mal, et tout l'accable, le seul témoignage en sa faveur étant celui de la fille de l'aubergiste. Il est condamné, et immédiatement fusillé dans un champ. La jeune fille arrive trop tard pour le voir une dernière fois. Désespérée, elle raconte l'histoire à un voyageur et lui demande de porter la dernière lettre de Magnan à sa mère. Ce voyageur était Herman.

Taillefer est de plus en plus agité. André, déjà soupçonneux, l'invite à une partie de cartes après dîner, au cours de laquelle il retrouve les trois cartes fatales de la cartomancienne. André exprime clairement ses soupçons: il était le deuxième médecin de l'auberge, qui a commis le crime et laissé son ami mourir à sa place. Taillefer se lève, et s'effondre frappé d'une attaque. Victorine ébranlée pose sa tête sur l'épaule d'André.
Premier film de fiction de Jean Epstein, "L'Auberge Rouge" est adaptée d'une nouvelle de Balzac. Sa structure est inhabituelle pour l'époque, avec deux histoires entremêlées qui interagissent l'une sur l'autre. Epstein applique "ses théories sur l'image subjective, sur la valeur de l'atmosphère, sur la signification de la composition des plans, sur celle du flou et des surimpressions, sur la cadence, sur le montage, sur les interpolations, les retours en arrière, sur les ralentis" (H. Langlois) pour faire monter lentement la tension et la menace.